Les quatre types de Gouvernement

Il s’agit d’examiner les compétences exécutives et législatives du Gouvernement, en les articulant autour des quatre formes que peut prendre cet organe. Un premier rappel s’impose d’emblée : si le Gouvernement est habituellement considéré comme le représentant du pouvoir exécutif (dans le modèle classique de la séparation entre les trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire), il est bien plus que cela puisqu’il est aussi l’une des branches du pouvoir législatif, qu’il partage avec le Parlement élu.

Le Gouvernement est l’organe chargé de diriger un pays. Pour la Belgique, il faut souligner deux spécificités. La première particularité du Gouvernement belge est qu’il ne dispose que des pouvoirs attribués par la loi et la Constitution, ce qui signifie qu’il ne peut agir que lorsqu’un texte ou un principe de droit lui en donne l’autorisation (cette autorisation peut toutefois être fort large et générale). La deuxième particularité du Gouvernement belge est qu’il y a en réalité une pluralité de Gouvernements, compte tenu du fait que la Belgique est un Etat fédéral. Le découpage des rôles de chacun de ces Gouvernements est assez complexe. De manière simplifiée, disons que chacun des Gouvernement des Communautés et Régions dispose des compétences listées pour chacune de ces entités et que le Gouvernement fédéral (anciennement national) peut faire tout le reste, tout ce qui n’est pas attribué aux autres Gouvernements.

Le Gouvernement dirige : entre autres, il nomme aux emplois publics, il prend les arrêtés d’application des lois, il rédige le projet de budget de l’Etat. En d’autres mots, il mène la politique à laquelle il s’est engagé, moyennant le contrôle politique de son Parlement, composé de représentants élus.

Partant de ce postulat, l’on peut distinguer quatre types de Gouvernement dans un régime parlementaire comme en Belgique.

types de gouvernement

I. Le Gouvernement de plein exercice, disposant d’une majorité parlementaire

Premièrement, le Gouvernement le plus puissant, mais aussi celui que l’on retrouve le plus régulièrement, hors cas de crise politique. C’est le Gouvernement majoritaire au Parlement et qui dispose du plein exercice de ses compétences.

Ce Gouvernement sera le plus souvent issu d’une coalition de partis politiques. A échéances régulières (en principe 5 ans actuellement), les partis politiques soumettent des candidats aux fonctions parlementaires lors d’élections devant les citoyens. Ces candidats se présentent sur des listes avec d’autres candidats et capitalisent des voix sur leur personnalité mais aussi sur le programme du parti qu’ils entendent défendre s’ils sont élus. Chose importante : on ne connait pas de mandat impératif, mais simplement représentatif en Belgique. Autrement dit, les candidats d’un parti ne doivent pas tenir leurs promesses s’ils sont élus ; en tout cas, ils n’y sont pas obligés juridiquement.

Une fois élu, si un parti ne dispose pas de plus de la moitié des sièges d’une assemblée, il devra chercher des alliés au sein d’autres formations politiques : c’est la coalition. Une bonne coalition est composée d’une majorité absolue des députés d’un Parlement (plus de la moitié de celui-ci). Elle a aussi un programme. Ce programme est le fruit d’une discussion, souvent longue en Belgique (parfois plus d’un an…), au terme de laquelle une sorte de nouveau programme général, une feuille de route, est établie avec l’échéance de la prochaine élection.

Ce programme implique la mise en œuvre de la compétence administrative (ou exécutive) du Gouvernement (adoption d’actes individuels, par exemple pour nommer aux emplois publics, et d’actes réglementaires, par exemple pour définir une politique criminelle, mettre en œuvre une loi, adopter des règlements généraux de police, etc.). Il implique aussi plus que très probablement l’adoption de lois nouvelles. C’est là où ce type de Gouvernement est très efficace puisque, étant issu d’une coalition de partis qui disposent, ensemble, d’une majorité de députés au Parlement et, surtout, grâce à la « discipline de parti » (phénomène qui veut qu’un député vote selon l’ordre donné par son parti), il rend captif le pouvoir législatif et peut donc modifier la loi à sa guise.

Une différence formelle continue d’exister : lorsqu’il utilise le pouvoir exécutif, le Gouvernement décide et adopte sa décision, éventuellement en suivant certaines procédures internes fixées par la loi. Par contre, quand il légifère, le Gouvernement doit rédiger un projet de loi puis le soumettre au Parlement (droit d’initiative) qui l’adoptera aux termes d’un débat et d’une délibération publics. L’arrêté pourra être écarté par les Cours et tribunaux s’il est illégal, ou annulé par le Conseil d’Etat pour la même raison, alors que la loi pourra uniquement être censurée par la Cour constitutionnelle. Toutefois, matériellement, il n’y a pas vraiment de différence entre l’arrêté écrit en cabinet ou le projet de loi, également rédigé par le cabinet, si ce n’est qu’un bref débat et une publication de celui-ci sont réalisés pour les lois.

Pour mener à bien sa politique, ce Gouvernement devra demander les fonds au Parlement, via le mécanisme du budget annuel. Ce budget prend la forme d’une loi qui sera adoptée par le Parlement après son dépôt par le Gouvernement. Il sera ajusté une ou deux fois par an, suivant la même procédure. Pour rentrer dans les clous budgétaires, le Gouvernement devra faire une série de modifications législatives (augmentation d’impôts divers, réductions de subventions, ou d’aides sociales, etc.). Ces modifications prendront la forme d’une loi « mammouth » ou loi-programme générale, déposée et votée au Parlement sans débat sérieux, deux fois par an.

Ce Gouvernement tout puissant cesse d’exister avec les élections. Il peut aussi tomber en cas de crise politique. Cela s’illustre par des querelles au sein de la coalition. Un parti n’est pas d’accord avec une question politique particulière ou avec l’orientation générale du Gouvernement : ce fut le cas en 2018, lorsque la N-VA n’a pas accepté que le Pacte sur la migration (dit : « de Marrakech ») soit voté. Avant cela, plusieurs Gouvernements sont tombés sur la question de la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, notamment en 2010.

En cas de crise, on essaie d’abord de trouver une solution amiable : tel parti renonce à son projet (ex : en 2017, la N-VA souhaitait étendre les visites domiciliaires pour la recherche des infractions à la loi sur la migration, le MR a refusé et la N-VA a retiré son projet en 2018), tel autre accepte finalement une idée initialement imbuvable… Si aucun accord n’est trouvé, il n’y a plus de consensus et le Gouvernement ne fonctionne plus. Dans ce cas, un parti peut quitter le Gouvernement (ce fut le cas de la N-VA le 9 décembre 2018), ou s’y accrocher vaille que vaille dans l’espoir que ce soit l’autre parti qui le quitte (ce fut le cas du CDH, après « La pelle du 19 juin » 2017, dans le Gouvernement bruxellois et dans celui de la Communauté française). Éventuellement, le Gouvernement peut présenter sa démission (il entre alors en affaires courantes, avec ou sans majorité parlementaire) ou le Parlement peut être dissout afin que des élections soient convoquées.

II. Le Gouvernement en affaires courantes, conservant sa majorité parlementaire

Le deuxième cas est celui du Gouvernement doté d’une majorité parlementaire mais chargé d’expédier les affaires courantes. Ce sera souvent le cas durant des périodes transitoires : ainsi, si un Gouvernement du premier type se maintient jusqu’aux élections puis que les partis qui le composent gagnent de nouveau les élections, le Gouvernement sera reconduit à l’identique. Il redeviendra alors de type I, mais aura été chargé entre temps d’expédier les affaires courantes.

Un Gouvernement en crise peut également remettre sa démission même si les partis qui le composent ne l’ont pas quitté. Dans ce cas, soit la crise passe et le Gouvernement retire sa démission, soit la crise ne passe pas et une recomposition du Gouvernement doit être envisagée, avec ou sans retour à l’élection. Un Gouvernement minoritaire de plein exercice peut sortir du Gouvernement de type II, auquel cas la stabilité politique du pays risque de demeurer fragile à moins qu’un nouveau Gouvernement majoritaire voie le jour sur base d’une autre composition de partis.

En Belgique, la situation transitoire peut être très longue. Ainsi, en 2010-2011, le Gouvernement Leterme est chargé d’expédier les affaires courantes. Après les élections, il conserve une majorité parlementaire confortable (83 sièges sur 150) mais ne dispose pas d’une majorité suffisante pour modifier des lois spéciales ou la Constitution. De la sorte, de très longues discussions sont enclenchées, lesquelles dureront 541 jours avant qu’un accord politique ne soit trouvé pour enclencher la 6e Réforme de l’Etat. Durant ce laps de temps, Leterme II est resté en affaires courantes, avec une majorité parlementaire.

Sur la notion d’affaires courantes, on peut rappeler qu’il s’agit de la privation de la fonction exécutive du Gouvernement ou, à tout le moins, d’une partie substantielle de celle-ci. Le Parlement ne contrôle plus le Gouvernement (parce que le Parlement est dissout ou parce que le Gouvernement est démissionnaire) de sorte que le Gouvernement ne peut plus exécuter, ou administrer. Toutefois, pour une raison de continuité de l’Etat et du Service public, le Gouvernement sortant est chargé d’assurer la transition (et donc, de s’occuper de l’essentiel ou de l’urgent) jusqu’à l’arrivée aux affaires du nouveau Gouvernement. La longueur des affaires courantes permet d’étendre la notion d’urgence. Ainsi, Leterme II est entré en guerre en affaires courantes et a pu déposer un budget, lequel a été adopté par une majorité parlementaire.

La compétence législative de ce Gouvernement n’est cependant pas entravée formellement. Il peut continuer à déposer des projets de loi qui pourraient toujours recevoir l’aval de la majorité au Parlement. Cependant, il faut supposer que si le Gouvernement de type II se maintient, ce n’est que temporairement et de manière plus formelle que matérielle, parce qu’aucun parti ne veut prendre la responsabilité de quitter le Gouvernement et d’être accusé d’avoir créé la crise. Dans cette situation, le Gouvernement ne dépose en réalité presque plus de projets de loi, à défaut d’harmonie politique en son sein, et les parlementaires retrouvent en quelque sorte la possibilité de s’opposer aux projets soutenus par un parti avec lequel ils ne veulent plus travailler.

III. Le Gouvernement minoritaire de plein exercice

A l’inverse, dans une troisième composition, le Gouvernement peut rester aux affaires mais perdre sa majorité politique. On parle alors d’un Gouvernement minoritaire. Dans ce cas, il dispose d’une plénitude de ses compétences administratives ou exécutives. Toutefois, il ne dispose plus de sa compétence législative : en effet, sans majorité au Parlement, la majorité des députés n’a plus de ligne directrice et des majorités alternatives peuvent se former pour chaque proposition de loi discutée. La feuille de route du Gouvernement doit donc être discutée au cas par cas et il lui faut trouver un soutien dans l’opposition pour faire passer ses projets de loi. Dès lors, la difficulté de ce Gouvernement est de pouvoir encore mener une politique cohérente ; son travail est d’autant plus délicat qu’il ne peut pas non plus disposer du budget dont l’adoption dépend du vote majoritaire du Parlement. De plus, il n’est pas à l’abris d’une coalition d’opposition qui se formerait contre lui au Parlement et souhaiterait lui imposer une motion de méfiance.

Ce Gouvernement peut cesser d’exister s’il démissionne (par exemple, Charles Michel le 21 décembre 2018) ou s’il retrouve une majorité parlementaire en s’étendant à une partie de l’opposition (par exemple, la tentative avortée du Gouvernement Wilmès durant la crise du coronavirus).

La Belgique n’a pas la tradition des Gouvernements minoritaires qui fonctionnent. Leur existence est souvent le jeu du hasard et leur survie dépasse rarement quelques semaines. Au sein des exécutifs régionaux et communautaires, la formation d’un Gouvernement minoritaire est rendue quasiment impossible en raison des règles de désignation du Gouvernement par les Parlements.

Le Gouvernement Wilmès, chargé de gérer la crise du coronavirus a ceci d’exceptionnel qu’il s’agit d’un Gouvernement minoritaire mais soutenu de l’extérieur par des partis d’opposition, dans le but de gérer le dossier de la crise du COVID-19. Il reçoit, dans ce cadre, des « pouvoirs spéciaux », qui sont en réalité des lois d’habilitation à modifier la législation. Le Parlement adopte la loi en question et délègue au Gouvernement minoritaire le soin d’adopter des arrêtés qui viendront modifier la loi. D’une certaine manière et dans le cadre limité de la gestion de crise, ce Gouvernement minoritaire dispose donc d’une compétence matériellement législative. La presse a eu un peu de mal à comprendre et résumer ces notions lorsque cet exécutif a été mis en place.

IV. Le Gouvernement minoritaire en affaires courantes

Enfin, le dernier type de Gouvernement est celui qui n’a ni majorité, ni plénitude des compétences. Il s’agit de Gouvernements de transition mais qui sont, dans la Belgique actuelle, souvent appelés à durer (ex : les Gouvernements de Michel, puis de Wilmès, sont restés dans cet état près d’un an et devraient toujours y être si la crise du coronavirus n’était pas venue perturber l’agenda).

Ce Gouvernement n’est pas impuissant. Ainsi, en cas d’urgence, il peut agir dans le cadre des affaires courantes (ex : le confinement a été adopté par ce Gouvernement de type IV). Toutefois, l’objectif est de pourvoir à son remplacement rapidement, par l’un des Gouvernements de types I ou III. Ainsi, si un nouvel accord de majorité est scellé ou si un accord minoritaire est dégagé, par exemple pour gérer une urgence (toujours la crise du coronavirus…, cf. ci-dessus).

Par contre, on n’imagine pas qu’un Gouvernement de type IV retrouve une majorité parlementaire sans que les affaires courantes ne cessent, sauf dans un cas assez théorique et transitoire : si le Gouvernement minoritaire tombe, que des élections sont convoquées et que les partis de ce Gouvernement obtiennent une majorité au Parlement. Dans ce cas, jusqu’à ce qu’il soit nommé à nouveau, le Gouvernement de type IV deviendrait brièvement un Gouvernement de type II avant de retrouver la plénitude de ses compétences exécutives en devenant un Gouvernement de type I.

Coronavirus – Prolongement du confinement et respect des formalités substantielles

Pour combattre la propagation du coronavirus depuis début mars, de nombreux gouvernements à travers le monde ont adopté des mesures de confinement de la population, lesquelles restreignent comme jamais hors temps de guerre, les libertés publiques élémentaires des citoyens.
La presse s’est récemment faite le relais de la fragilité juridique des sanctions administratives communales qui sanctionnaient les entraves à ce confinement. Or, avec la prolongation du confinement jusqu’au 19 avril (renouvelable) par un arrêté ministériel du 3 avril 2020 (qu’on nommera ici l’arrêté de prolongation, par facilité), c’est toute la légalité du dispositif qui pose question et, avec elle, la possibilité d’appliquer des sanctions (pénales notamment) en cas de violation du confinement.
Pour rappel, l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile permet au Ministre de l’Intérieur « en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure ; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population ».
Deux « petits » problèmes se posent avec cette disposition et donc, avec toute mesure de confinement ordonnée par le Ministre de l’Intérieur. Tout d’abord, il n’appartient en principe pas à un Ministre mais uniquement à la loi de déroger ou de limiter les libertés publiques. Ensuite, la loi ne peut en principe pas confier à un Ministre mais uniquement au Roi (c’est-à-dire, au gouvernement) le soin d’exécuter des mesures que cette loi prévoit. Libre ensuite au Roi de déléguer cette tâche à un Ministre.
On dira toutefois que les circonstances exceptionnelles peuvent justifier des mesures exceptionnelles…
Un plus gros problème semble toutefois se poser avec la mesure de prolongation du confinement. Il s’agit de l’absence de consultation de la Section de Législation du Conseil d’Etat, justifiée par l’urgence.
Si le Conseil d’Etat est d’abord une juridiction administrative, chargé de trancher des litiges de droit administratif, il constitue également, comme son nom l’indique, un « conseil » de l’Etat. Sa Section de Législation est, en effet, compétente pour formuler des avis juridiques sur « le texte de tous avant-projets de loi, de décret, d’ordonnance ou de projets d’arrêtés réglementaires ». Cet avis permet de corriger des défauts de rédaction des futures décisions du gouvernement, mais aussi de vérifier le fondement juridique et la pertinence de celles-ci.
Cet avis ne doit pas forcément être suivi : il éclaire les dirigeants et leur laisse le choix de le suivre ou non. Il est toutefois obligatoire de le demander. En effet, l’absence de demande de cet avis entraîne l’illégalité de l’arrêté règlementaire, qui pourra ensuite être annulé par le Conseil d’Etat sur cette base, ou écarté d’office par les Cours et Tribunaux. Dans le cas qui nous occupe, on peut donc s’inquiéter de la légalité de l’arrêté de prolongation et, à la suite, des sanctions administratives ou pénales qui seraient adoptées en exécution de cet arrêté.
Obtenir l’avis du Conseil d’Etat peut prendre plusieurs semaines, de telle sorte que la loi prévoit qu’en cas d’urgence spécialement motivée, il est possible de demander cet avis dans un délai de 5 jours, voire de ne pas le demander du tout en cas d’extrême urgence. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat examinent avec sévérité cette motivation et il arrive régulièrement que celle-ci soit refusée, entraînant l’illégalité de l’acte qui se passait de l’avis.
En l’espèce, l’arrêté de prolongation justifie l’urgence par « l’évolution très rapide de la situation en Belgique et dans les Etats proches, du franchissement du seul d’une pandémie décrétée par l’Organisation mondiale de la santé, du temps d’incubation du coronavirus et de l’augmentation de la taille et du nombre de chaînes de transmission secondaires ».
Cette justification de l’urgence se comprenait aisément le 13 mars. Elle devient toutefois très discutable le 3 avril, à la date de l’adoption de l’arrêté de prolongation puisque le caractère pandémique de la maladie date déjà du 11 mars, que l’inflexion de la courbe des hospitalisations est constatée depuis le 29 mars et surtout, que l’allongement du confinement a déjà été décidé le 27 mars. Aucun de ces éléments ne semble donc pouvoir sérieusement justifier de ne pas avoir au moins consulté la Section de Législation du Conseil d’Etat dans un délai réduit de 5 jours.
On remarque, de plus, que le Conseil d’Etat a notamment été sollicité dans cette crise pour donner son avis sur l’octroi des pouvoirs spéciaux au Roi par une proposition de loi. On souligne ici le très grand professionnalisme de la juridiction dans cette affaire puisque l’avis (de 35 pages) a été donné dans un délai d’une seule journée « afin de permettre au législateur de disposer très rapidement de l’avis sollicité ».
Solliciter l’avis du Conseil d’Etat avant d’adopter l’arrêté de prolongation aurait été d’autant plus nécessaire que le Conseil d’Etat avait souligné, dans l’avis relatif aux pouvoirs spéciaux, précité, que « Ce sera au moment de la préparation et de l’adoption de ces arrêtés qu’il conviendra d’examiner si, compte tenu de leur portée et des justifications éventuellement avancées, ces restrictions sont admissibles au regard des règles supérieures garantissant les libertés publiques. Tel serait le cas de mesures de confinement, d’autres restrictions à la liberté de circulation, des mesures limitant les contacts entre les membres d’une même famille, des fermetures d’écoles ou d’universités ». Il laissait ainsi éventuellement entendre que c’est par le biais des pouvoirs spéciaux que de nouvelles atteintes aux libertés publiques devraient être envisagées.
La lutte contre la propagation du COVID-19 est la priorité en ce moment ; la responsabilité de chacun doit se poser dans la préservation de notre système de santé puis dans la reconstruction de notre économie. L’affaiblissement de l’Etat de droit – et notamment du respect des procédures et des libertés publiques – doit toutefois rester la boussole de l’action du gouvernement, au risque de perdre notre Liberté et, plus immédiatement, de rendre fragile et critiquable son action.

Cet article a été partiellement publié dans la Libre Belgique du 7 avril 2020 (p. 4) et sur le site web de Lalibre.be

Les fragiles pouvoirs spéciaux des communes wallonnes

Pour lutter contre la pandémie de Coronavirus, le Gouvernement wallon s’est vu doter de large pouvoirs spéciaux, lui permettant d’exercer les compétences du Parlement (décret du 17 mars 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19).

Sur base de cette habilitation, il a adopté, entre autre, un arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 5 du 18 mars 2020 relatif à l’exercice des compétences attribuées au conseil communal par l’article L1122-30 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation par le collège communal.

Cet arrêté permet, pour une durée de 30 jours, de confier les attributions du conseil communal (l’organe élu) au collège communal (l’organe « gouvernemental » communal), sous réserve d’une confirmation des actes pris par le conseil dans un délai de 3 mois. Il s’agit de véritables pouvoirs spéciaux confiés aux Communes.

Concrètement des arrêtés généraux de police pourraient, par exemple, être adoptés par les Collèges afin de sanctionner certains comportements.

Si l’idée peut sembler intéressante, la construction juridique est toutefois très fragile puisque les procédures d’avis, notamment l’avis obligatoire de la Section de législation du Conseil d’Etat, n’ont pas été suivies, notamment pour l’adoption de l’arrêté de pouvoirs spéciaux n°5.

En effet, en vertu d’une législation fédérale, tout arrêté doit faire l’objet d’une demande d’avis à la Section de législation du Conseil d’Etat. L’absence d’une telle demande entraine l’illégalité de l’acte et de ceux qui en découlent; cette nullité est considérée comme d’ordre public.

Dans le cas qui nous occupe, l’article 3 du décret de pouvoirs spéciaux prévoit que:

« Art. 3. § 1er. Les arrêtés visés aux articles 1er et 2 peuvent être adoptés sans que les avis légalement ou règlementairement requis soient préalablement recueillis.
Le premier alinéa s’applique aux avis de la section de législation du Conseil d’Etat dans les cas spécialement motivés par le Gouvernement.
§ 2. Avant leur publication au Moniteur belge, les arrêtés visés aux articles 1er et 2 sont communiqués au président du Parlement wallon ».

On pourrait donc se passer de l’avis du Conseil d’Etat, dans les cas spéciaux motivés par le Gouvernement.

Premier problème, les entités fédérées, comme la Région wallonne ne peuvent en principe pas se dispenser de l’avis de la Section de législation du Conseil d’Etat, sauf le cas exceptionnel des pouvoirs implicites.

Deuxième problème, l’arrêté n° 5 de pouvoirs spéciaux indique que  » Considérant qu’au vu de l’article 3 du décret du 17 mars 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19, le présent arrêté  » de pouvoirs spéciaux  » ne doit pas être soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat, cette dernière ayant en tout état de cause invité le Gouvernement à éviter de déposer des demandes d’avis dans l’urgence. Le décret confirmant le présent arrêté sera soumis à la section de législation du Conseil d’Etat ». Cette motivation ne fait pas mention des « cas spécialement motivés » prévus par le Décret.

Dans cette situation, les actes adoptés par les Collèges sur base de l’habilitation, ainsi que les actes qui en découleraient, comme des sanctions, risquent d’être rendus inapplicables par les Cours et Tribunaux, qui ont le pouvoir et le devoir d’écarter les actes administratifs illégaux sur base de l’article 159 de la Constitution.

L’affaire est donc à suivre.

Coronavirus : la proposition de loi de pouvoirs spéciaux

La proposition de loi de pouvoirs spéciaux a été déposée à la Chambre des représentants. Elle vise à habiliter le Roi (le gouvernement) à adapter, modifier ou compléter la législation sans passer par le Parlement afin de lutter contre la pandémie de coronavirus et ses conséquences.

Cette proposition de loi vient de faire l’objet de nombreuses critiques par le Conseil d’Etat, qui relève plusieurs imprécisions dans le texte, met en garde contre l’insécurité juridique ainsi créée et propose plusieurs modifications de la proposition.

 

Les législations qui pourront être modifiées directement par le Roi

Cette loi prévoit que des arrêtés délibérés en Conseil des Ministres pourront :

« 1° combattre la propagation ultérieure du coronavirus Covid-19 au sein de la population, y compris le maintien de la santé publique et de l’ordre public;

2° garantir la capacité logistique et d’accueil nécessaire, y compris la sécurité d’approvisionnement, ou en prévoir davantage;

3° apporter un soutien direct ou indirect, ou prendre des mesures protectrices, pour les secteurs financiers, économiques, le secteur marchand et non marchand, les entreprises et les ménages, qui sont touchés en vue de limiter les conséquences de la pandémie;

4° garantir la continuité de l’économie et la stabilité financière du pays, le fonctionnement du marché ainsi que de protéger le consommateur;

5° apporter des adaptations au droit du travail et de sécurité sociale en vue de la protection des travailleurs et de la population, de la bonne organisation des entreprises et des administrations, tout en garantissant les intérêts économiques du pays et la continuité des secteurs critiques;

6° suspendre ou prolonger les délais fixés par ou en vertu de la loi selon les délais fixés par Lui;

7° garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires, et plus particulièrement assurer en considérant les droits des parties, la continuité du processus judiciaire, tant au niveau civil qu’au niveau pénal, en adaptant l’organisation des cours, tribunaux et autres instances judiciaires, comprenant également le ministère public, les autres organes du pouvoir judiciaire, les huissiers de justice, experts judiciaires, traducteurs, interprètes, traducteurs-interprètes, notaires et mandataires de justice, et en adaptant l’organisation de la compétence et la procédure, en ce compris les délais prévus par la loi, ainsi que les règles en matière de procédure et de modalités de la détention préventive et en matière de procédure et de modalités de l’exécution des peines et des mesures;

8° adapter la compétence, le fonctionnement et la procédure du Conseil d’État et des juridictions administratives afin d’assurer le bon fonctionnement de ces instances et plus particulièrement la continuité de la jurisprudence et de leurs autres missions, en considérant les droits des parties;

9° se conformer aux décisions prises par les autorités de l’Union européenne dans le cadre de la gestion commune de la crise ».

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord que les mesures qui pourront être adoptées pourront porter atteinte aux libertés publiques (liberté de se réunir, de se déplacer, liberté de croyance, d’expression…) et qu’il appartiendra au Roi, à chaque fois qu’il adoptera ses arrêtés, de vérifier la compatibilité de la mesure avec les libertés publiques et les dérogations à celles-ci.

Ensuite, la juridiction indique que le champ d’application des mesures est imprécis et qu’il est délicat de savoir exactement où le Roi peut agir (par exemple: « garantir la capacité logistique et d’accueil » de quoi?).

Le Conseil d’Etat souligne également que les mesures pourraient modifier substantiellement l’organisation des Tribunaux. Il rappelle, dès lors, que le texte devrait s’assurer que cela ne pourra se faire que dans le respect de l’impartialité et de l’indépendance du pouvoir judiciaire et dans le respect des droits de la défense des parties.

Limites aux pouvoirs du Roi 

Les articles 3 et 4 de la loi indiquent que le Roi ne peut prendre des mesures qui auraient certains effets, à savoir:

« Art. 3
Les arrêtés royaux pris en vertu de la présente loi ne peuvent pas porter atteinte au pouvoir d’achat des familles et à la protection sociale existante.
Art. 4
Les arrêtés royaux pris en vertu de la présente loi ne peuvent pas adapter, abroger, modifier ou remplacer les cotisations de sécurité sociale, les impôts, les taxes et les droits, notamment la base imposable, le tarif et les opérations imposables ».

Le Conseil d’Etat souligne que ces limites sont imprécises et risquent de porter atteinte à la sécurité juridique. En effet, toute mesure peut potentiellement porter atteinte, par exemple, au pouvoir d’achat des familles.

Limites dans le temps

Ces pouvoirs spéciaux sont accordés pour 3 mois, renouvelables une fois. Le Conseil d’Etat souligne, à cet égard, que c’est une nouvelle loi qui devrait opérer ce renouvellement des mesures. En effet, le texte prévoit actuellement que c’est la chambre qui l’accorde, selon toute modalité utile (mais pas par une loi).

Ils peuvent avoir effet rétroactivement dès le 1er mars. Cette rétroactivité est toutefois limité par les règles habituelles en matière de rétroactivité.

 

Dispositif de lutte contre le coronavirus : une analyse législative et règlementaire

La crise du coronavirus épuise le système hospitalier belge et européen depuis quelques semaines. Le citoyen n’aura pas manqué de s’apercevoir que le contexte particulier où nous vivons actuellement met à l’épreuve nos traditions légales et démocratiques. Voici une première analyse des fondements légaux sur les récentes mesures de lutte contre la pandémie.

Premier type de mesure : les polices administratives exceptionnelles
La police administrative, c’est un ensemble de mesures de contraintes et de restriction des libertés qui sont mises en œuvre de manière préventive afin de sauvegarder l’ordre public.
La première mesure marquante de la crise a été l’ordonnance du 1er mars 2020 du Bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, qui interdisait à toutes personne ayant fréquenté une zone à risque d’entrer dans les bâtiments de l’administration communale. C’est, en effet, aux communes d’adopter prioritairement des mesures de police administrative générale en vertu de l’article 135 de la Nouvelle loi communale. La particularité de la mesure tient au fait que c’est le Bourgmestre et non son Conseil communal qui l’a adoptée. Elle est également surprenante puisqu’elle porte une interdiction générale et absolue de fréquenter certains lieux pour certains types de personnes.
La seconde décision d’ampleur a été celle du Ministre fédéral de l’intérieur. Par une série d’arrêtés ministériels du 13 mars 2020, il décide d’abord :
D’activer le plan d’urgence fixé par l’arrêté royal du 31 janvier 2003 portant fixation du plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national.
Ensuite et surtout, il décide d’interdire, sauf dans le cadre intime et familial, jusqu’au 3 avril 2020 :
a) les activités à caractère privé ou public, de nature culturelle, sociale, festive, folklorique, sportive et récréative;
b) les excursions scolaires de plus d’une journée et les activités dans le cadre de mouvements de jeunesse sur le et à partir du territoire national ;
c) les activités des cérémonies religieuses (seules les cérémonies funéraires sont autorisées).
Il ferme jusqu’à la même date les établissements appartenant aux secteurs culturel, festif, récréatif, sportif et horeca et, uniquement les samedis et dimanches tous les centres commerciaux et les magasins qui vendent des produits non-alimentaires, sauf les pharmacies.
Enfin, il suspend les leçons et activités dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire, jusqu’à la même date.
Pour adopter cette décision, il se base notamment sur l’article 11 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, qui fait « remonter » la compétence de police générale de la commune vers les provinces puis vers le gouvernement fédéral lorsque le trouble à l’ordre public dépasse le cadre communal.
Il se base aussi sur la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, dont l’article 182 prévoit que :
« Le ministre ou son délégué peut, en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure ; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population ».
Cette décision est exceptionnelle à plusieurs égards puisqu’elle porte gravement atteinte à plusieurs droits fondamentaux, tels que le droit de réunion, le droit de pratiquer son culte ou la liberté de commerce et d’industrie, lesquels sont en principe protégés de toute incursion qui n’est pas directement décidée par le législateur.
Elle est, de plus, adoptée sans l’avis préalable de la Section de Législation du Conseil d’Etat compte tenu de l’urgence. Elle est, enfin, adoptée par un gouvernement en affaires courantes.
Enfin, l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » complète et précise les dispositions de l’arrêté ministériel du 13 mars précité.
Il prévoit en outre et surtout que les personnes sont tenues de restées chez elles. Il est interdit de se trouver sur la voie publique et dans les lieux publics, sauf les exceptions prévues par l’arrêté.
Entre ce deuxième arrêté et celui du 13 mars 2020, il faut noter que le Gouvernement avait été relevé des affaires courantes.

Deuxième type de mesures : le Gouvernement est relevé des affaires courantes
Pendant plus d’un an, le Gouvernement fédéral a expédié les affaires courantes après la démission de Charles Michel – et son remplacement par Sophie Wilmes, également démissionnaire.
Cela signifiait concrètement que le Gouvernement voyait son pouvoir exécutif limité à l’adoption d’arrêtés permettant d’assurer la gestion journalière de l’Etat, finaliser techniquement des procédures déjà entamées antérieurement (et donc, vidées des choix politiques à poser) ou encore parer aux cas d’urgence.
Il faut noter qu’un Gouvernement en affaires courantes n’est plus non plus soumis au contrôle politique de la Chambre des représentants puisque cette dernière peut, au pire, le pousser à démissionner (ce qui était déjà le cas) – et en vertu de la belle formule : on n’abat pas un mort.
Or, par un premier arrêté royal du 17 mars 2020, le Roi refuse la démission présentée préalablement par Sophie Wilmes. Par un deuxième arrêté de la même date, le Roi accepte la démission de tous les Ministres, à l’exception de la Première et nomme immédiatement ceux-ci à la même fonction.
Les affaires courantes sont donc terminées.
Le Gouvernement obtient, enfin, la confiance de la Chambre des représentants le 19 mars 2020. Le contrôle politique du Parlement reprend donc pleinement ses droits, avec la particularité que le Gouvernement ne dispose pas d’une majorité de députés à la Chambre, ceux-ci le soutenant « de l’extérieur », c’est-à-dire sans que leurs groupes ne soient représentés en son sein.

Troisième type de mesures : des pouvoirs spéciaux
Il est prévu que des pouvoirs spéciaux soient accordés au Gouvernement fédéral. Le texte n’est, semble-t-il, pas encore disponible. Le Gouvernement wallon s’est, quant à lui, déjà vu accordé de tels pouvoirs par les décrets du 17 mars 2020.
Qu’en est-il ? Une loi (ou un décret) de pouvoirs spéciaux est un texte adopté par le pouvoir législatif, qui indique que, pour une ou plusieurs matières données, en raison des circonstances et pour un temps limité, le Gouvernement peut adopter des arrêtés « de pouvoirs spéciaux », lesquels sont habituellement numérotés, qui peuvent modifier les lois existantes, voire créer un nouveau cadre légal.
Il s’agit donc bien formellement d’arrêtés, lesquels sont soumis aux procédures administratives habituelles (avis du Conseil d’Etat, analyse d’impact, etc.) et qui souffrent des mêmes faiblesses que les actes exécutifs classiques (toute juridiction peut en soulever l’illégalité sur base de l’article 159 de la Constitution et un recours peut être introduit au Conseil d’Etat). Toutefois, matériellement, il s’agit bien de lois.
Cela implique que des « lois » seront adoptées pour faire face à la crise et ce, sans débat au Parlement, sans que celui-ci ne vote les textes (alors même que le Gouvernement est minoritaire au Parlement), ce qui peut toujours faire craindre des abus ou des illégalités, surtout lorsqu’on connaît l’ampleur des premières mesures adoptées par le Ministre de l’Intérieur au regard des libertés individuelles.

Première conclusion
La crise du coronavirus fait l’objet d’un traitement législatif et règlementaire exceptionnel. La vieille formule « pour sauver la Liberté, il faut supprimer les libertés » semble bien être le maître mot du moment. En raison de la pandémie et de la menace qu’elle fait peser sur la santé publique, le danger inhérent à de telles mesures (abus, discriminations…) pèse peu dans la balance à ce jour. Il nous faut toutefois rester vigilants et espérer que ces normes exceptionnelles ne dépasseront pas leur motif, ni dans le temps, ni dans leur ampleur.

NB : D’autres décisions ont été adoptées par les communes, provinces et entités fédérées. Elles ne sont toutefois pas examinées ici dans un souci de concision.