I. Une longue tradition d’autonomie locale

La Belgique est un Etat fortement décentralisé. Cette puissance des Villes, Communes et Provinces trouve son origine dans l’histoire longue de notre territoire. Ce premier chapitre aborde les questions de l’autonomie locale de la Belgique.

C’est également l’occasion de revenir sur quelques thématiques déjà abordées, telles que l’introduction d’une procédure judiciaire par une entité décentralisée contre son autorité de tutelle, les limites du pouvoir de police communale ou encore les pouvoirs spéciaux des communes.

Droit administratif (9/2019)

Avis prescrit par l’article 3quater de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État. – M.B. 2019-09-03

CONSEIL D’ETAT

Avis prescrit par l’article 3quater de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat
La société anonyme QUINCAILLERIE CONRADT et consorts ont demandé l’annulation du Règlement-taxe communal sur les emplacements de parking mis gratuitement à disposition desservant des immeubles affectés à une activité commerciale adopté par le Conseil Communal de la ville de Verviers en date du 29 avril 2019 et affiché en date du 7 juin 2019.
Cette affaire est inscrite au rôle sous le numéro G/A. 228.760/ XV-4181.
Pour le Greffier en chef,
Cécile Bertin,
Secrétaire en chef f.f.

Un recours au Conseil d’Etat a été introduit contre un Règlement-taxe d’une commune.
Deux grandes options sont ouvertes pour critiquer un impôt. Le contribuable peut, premièrement, attaquer directement la loi d’impôt (l’acte légal général ou règlementaire) afin d’en demander son annulation. Il peut, deuxièmement, attaquer l’imposition (l’acte administratif individuel) qui se fonde sur la loi d’impôt.
On constate ici que la loi d’impôt est un arrêté du Conseil communal de Verviers, pris sur base de l’article 162 de la Constitution. Si l’impôt (taxe parking, en l’espèce), avait été prévu dans une loi, un décret ou une ordonnance, la critique se serait faite, non pas devant le Conseil d’Etat mais à la Cour constitutionnelle, dans les six mois de la publication du texte au Moniteur belge.
Au Conseil d’Etat, ce délai n’est que de 60 jours.
Les moyens d’annulation qui peuvent être invoqués devant le juge sont variés : non-respect des principes d’égalité ou de légalité, incompétence de l’auteur de l’acte, disproportion, etc.
Attaquer une loi d’impôt peut, toutefois, avoir un effet platonique pour le requérant. Ainsi, si j’ai attaqué le règlement-taxe qui impose la possession de chiens devant le Conseil d’État mais que la Commune m’a, entre-temps, envoyé un avertissement-extrait de rôle (AER) afin de payer cette taxe, j’ai tout intérêt à critiquer également celui-ci. En effet, si je ne le critique pas et que le Conseil d’État rend un arrêt d’annulation un an ou deux après l’introduction de mon recours, je ne pourrai pas invoquer cet arrêt pour refuser de payer l’impôt ! En effet, le Règlement-taxe sera annulé de manière rétroactive mais la dette d’impôt sera devenue définitive et ne pourra plus être critiquée.
L’impôt peut également être attaqué dans son versant individuel, en critiquant l’avertissement-extrait de rôle qui le porte (ou toute autre décision qui n’est pas adoptée par voie de rôle).
Sur cette procédure, il est renvoyé à mon formulaire de requête en ligne. Une consultation juridique peut également être sollicitée. J’attire toutefois l’attention du réclamant sur les délais stricts de cette procédure.

 

COUR CONSTITUTIONNELLE

Avis prescrit par l’article 74 de la loi spéciale du 6 janvier 1989
Par décision du 2 juillet 2019, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 juillet 2019, le Collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-Capitale a posé les questions préjudicielles suivantes :
1. « Dans l’interprétation selon laquelle il est uniquement applicable aux membres du personnel du Collège réuni de la Commission communautaire commune, à l’exception des membres du personnel d’établissements d’utilité publique dotés d’une personnalité juridique distincte qui dépendent de la Commission communautaire commune, l’article 9, alinéa 1er, e), de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale viole-t-il les articles 8, 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations Unies, en ce qu’il est établi que tant les premiers que les derniers ‘ participent directement au contrôle ou à la tutelle sur le centre intéressé ‘ au sens de cette disposition ? »;
2. « L’article 9, alinéa 1er, e), de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale viole-t-il les articles 8, 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966, en ce qu’il prévoit une incompatibilité pour les membres du personnel ‘ de l’Etat et de la Commission communautaire commune qui participent directement au contrôle ou à la tutelle sur le centre intéressé ‘, alors qu’il ne prévoit pas la même incompatibilité pour les membres du personnel d’autres organismes publics qui participent directement au contrôle ou à la tutelle sur les centres publics d’action sociale, et alors que cette même incompatibilité n’est pas prévue pour d’autres personnes se trouvant dans des situations comparables, comme les conseillers communaux qui sont en même temps aussi des fonctionnaires qui participent directement au contrôle ou à la tutelle sur la commune concernée ? ».
Cette affaire est inscrite sous le numéro 7234 du rôle de la Cour.

Une question préjudicielle est introduite à la Cour constitutionnelle par le Collège juridictionnel de la Région de Bruxelles.

Rappelons que seules les juridictions peuvent poser des questions préjudicielles à la Cour. Lorsqu’il y a question posée à la Cour constitutionnelle, la juridiction sursoit à statuer dans l’attente de la réponse de la Cour.

La juridiction qui pose la question est très particulière puisqu’il s’agit d’un Collège composé de membres apparentés au Gouvernement Bruxellois qui, dans le cadre de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises, statue comme un juge (cf. article 83 quinquies § 2 de cette loi spéciale). La décision de cette juridiction pourra, en outre, être critiquée devant le Conseil d’Etat. Toutefois, la nature de ce recours (cassation, annulation ou appel) risque de dépendre de la manière et de la matière dans laquelle le Collège statue, ce qui complexifie singulièrement la possibilité d’exercer son droit au recours.

Enfin, soulignons que ce Collège (régional) exerce les compétences provinciales puisque l’ancienne Province du Brabant a été scindée en deux et que le territoire de Bruxelles ne relève plus de ces deux provinces, de sorte que les compétences provinciales sont exercées, à Bruxelles, par la Région.

Le principe général de droit d’exonération d’impôt pour les biens affectés à un service public est réaffirmé!

impôt – exonérations – taxe locale – principe général de droit d’exonération d’impôt pour les biens du domaine public et pour les biens du domaine privé affectés à un service public ou d’intérêt général

Par un arrêt du 23 février 2018, F.16.0102.F/9, rendu sur conclusions contraires de son avocat général (!), la Cour de cassation a réaffirmé l’existence d’un principe général de droit qui divisait la doctrine et la jurisprudence depuis de très nombreuses années.

Elle indique à cet égard que:

« Les biens du domaine public de l’État et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général ne sont, de leur nature, pas susceptibles d’être soumis à l’impôt.

Il s’ensuit que, d’une part, ces biens ne sont soumis à l’impôt que si une disposition légale le prévoit expressément, d’autre part, la disposition de l’article 172, alinéa 2, de la Constitution, aux termes de laquelle nulle exemption ou modération d’impôt ne peut être établie que par une loi, ne leur est pas applicable » .

Modèle de réclamation fiscale devant le Collège (taxe communale)

RÉCLAMATION (taxe communale)

 

PAR RECOMMANDÉ (et par courriel si cette forme est autorisée par la Commune ; veillez, en toute hypothèse, à conserver une copie scannée de la réclamation envoyée)

(pour Bruxelles : ) À Mesdames et Messieurs les membres du Collège des Bourgmestre et échevins de la Commune de…

(pour la Région wallonne : ) À Mesdames et Messieurs les membres du Collège communal de…

 

Taxe portant sur … (inscrire le nom de la taxe) dont le numéro de rôle/de dossier est : (il faut correctement identifier le règlement-taxe et la taxation elle-même, qui est le plus souvent reprise dans un avertissement-extrait de rôle et l’année budgétaire. De manière générale, veillez à reprendre toutes les informations utiles en tête de réclamation afin de limiter les risques de perte de votre réclamation)

 

Mesdames et Messieurs,

J’ai l’honneur d’introduire une réclamation à l’encontre de la taxe dont la référence est reprise en objet, et qui est jointe en copie de ce courrier et doit être considérée comme intégralement reproduite.

 

  1. EXPOSE DES FAITS

(Exposez les faits de manière détaillée et numérotée. N’hésitez pas à indiquer dès ce stade si des circonstances particulières peuvent être mise en avant (ex : taxe d’habitation si vous n’avez pas d’habitation dans la commune en question, le fait qu’on vous reproche le dépôt d’immondices sur la voie publique alors que ce n’est pas le cas…)

  1. EXPOSE DES MOYENS

(la réclamation fiscale n’est pas un recours en légalité, il est possible que la taxe soit mal calculée par la commune ou indue. Dans ce cas, il faut l’indiquer et vous avez des chances raisonnables d’être entendu. Vous pouvez également estimer que le Règlement-taxe ou la taxe elle-même sont illégaux : dans ce cas, exposez les motifs de cette illégalité supposée en indiquant quelle règle de droit est violée et pourquoi elle est violée en l’espèce)

 

PAR CES MOTIFS

PLAISE AU COLLEGE,

 

De déclarer la présente réclamation recevable et fondée et, après m’avoir convoqué et entendu, en présence et/ou représentée de mon conseil, de dégrever et mettre à néant la taxation litigieuse.

Le tout sans reconnaissance préjudiciable et sous toute réserve généralement quelconque, sans renonciation et notamment sous réserve de majoration ou de diminution en cours d’instance.

 

Fait à …

En date du…

Signature

Annexes :

(Joindre au moins la copie du document qui consacre votre taxe, par exemple, un avertissement-extrait de rôle en-dessous duquel figure un virement rouge à renvoyer)

 

 

 

 

POUR BRUXELLES : Selon l’article 9, § 1er alinéa 2 de l’ordonnance du 3 avril 2014 « relative à l’établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes communales » :

 

« La réclamation doit être introduite, par écrit, signée et motivée, et, sous peine de déchéance, dans un délai de trois mois à compter du troisième jour ouvrable suivant la date d’envoi de l’avertissement-extrait de rôle ou à compter de la date de notification de l’imposition ou à compter de la date de la perception au comptant ».

 

POUR LA WALLONIE : l’article 371 du C.I.R. 92 prévoit que :

 

« Les réclamations doivent être motivées et introduites, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date d’envoi de l’avertissement-extrait de rôle mentionnant le délai de réclamation ou de l’avis de cotisation ou celle de la perception des impôts perçus autrement que par extrait de rôle ».

 

ATTENTION, l’introduction signifie la réception concrète par la Commune !

 

Après l’introduction de cette réclamation, le Collège devrait normalement statuer. Si la décision du Collège n’est pas satisfaisante, un recours au Tribunal peut être introduit selon les formes et délais prévus par les différentes législations (Dans ce cadre, il est vivement recommandé de consulter rapidement un spécialiste).

La Commune peut-elle poursuivre en justice son autorité de tutelle ? Responsabilité civile et Règlement-taxe

Règlement-taxe – autonomie locale – tutelle d’approbation – annulation par le Conseil d’État – unité de l’illégalité et de la faute – exercice fautif de la tutelle – réparation du dommage – étendue du dommage

Les faits qui ont conduit la Cour d’appel de Mons, le 29 janvier 2016[1], à se prononcer dans cette affaire peuvent se résumer ainsi :

Une Commune avait adopté des règlements-taxe pendant plusieurs années consécutives. L’autorité de tutelle devait approuver ces derniers avant qu’ils ne puissent sortir leurs effets. La tutelle, ainsi que l’autorité de recours gouvernementales, ont, par plusieurs décisions de refus d’approbation successives, empêché les règlements-taxe de produire leurs effets. Cette Commune a critiqué la légalité de ces décisions devant le Conseil d’État et a obtenu leur annulation au motif qu’elles ne respectaient pas le principe de l’autonomie locale. Selon ce principe, c’est l’autorité locale qui a le véritable pouvoir de décision et la tutelle ne peut se substituer à cette dernière mais uniquement s’assurer que la décision respecte l’intérêt général et la loi. En l’espèce, la tutelle s’était immiscée trop largement dans la décision locale sans motif valable.

La Cour d’appel, dans l’arrêt commenté, est saisie de l’action en responsabilité civile de la commune contre la Région wallonne afin d’obtenir la réparation de cette illégalité.

La Cour d’appel commence par rappeler que, sauf le cas de l’erreur invincible ou de toute autre cause d’exonération de responsabilité, l’illégalité sanctionnée par le Conseil d’État est constitutive de faute civile.

La Cour d’appel poursuit son raisonnement et examine quel dommage est subi par la commune et si ce dommage est en lien causal avec la faute de la Région wallonne. La Cour d’appel formule à ce sujet les considérations suivantes :

« Il convient tout d’abord de préciser que l’existence d’un dommage, fût-il subi par une autorité publique, ne dépend pas de l’état de fortune de la victime ni de l’utilisation que celle-ci aurait pu faire des sommes dont elle a été privée par la faute de son auteur.

Le dommage se présente comme une différence négative entre la situation dans laquelle la victime se trouve après le fait générateur de responsabilité et celle dans laquelle elle se serait trouvée en son absence, pour autant que cette différence soit certaine, légitime et personnelle (L. CORNELIS, « Le dommage », Responsabilités, Traités théorique et pratique, titre 1, dossier 10, Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 9).

La personne lésée doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n’avait pas été commise.

Or, en l’espèce, si l’appelante n’avait pas rejeté les recours contre les décisions de la Députation permanente n’approuvant pas les délibérations du Conseil communal de l’intimée ou n’avait pas choisi de laisser devenir exécutoire deux de ces décisions, l’intimée aurait pu percevoir le supplément de la taxe sur les forces motrices pour les exercices en cause et aurait engrangé des recettes supplémentaires.

A cet égard, il est inutile de rechercher si l’intimée a dû modifier sa politique et renoncer à des dépenses ou à la réalisation de certains projets d’intérêt communal dès lors qu’il existe une corrélation nécessaire entre l’ensemble des revenus et l’ensemble des dépenses de l’intimée conformément au principe d’universalité.

(…)

Il est à cet égard sans intérêt de connaitre avec précision les dépenses auxquelles l’intimée a dû renoncer et il est également indifférent que l’intimée n’ait procédé à aucune correction de ses budgets en cours d’exercice.

(…)

Le dommage de l’intimée consiste dès lors en la perte causée par l’absence d’augmentation de la taxe sur la force motrice pour les exercices concernés mais également dans la dégradation de la situation financière de la Commune, dans la même proportion, liée à cette perte fiscale.

L’intimée chiffre son dommage à la somme de 1.712.076,42 euros pour les exercices 2002 à 2007.

(…)

En ce qui concerne le lien causal, il convient de considérer que si l’appelante n’avait pas rejeté fautivement les recours contre les décisions de la Députation permanente n’approuvant pas les délibérations du Conseil communal de l’intimée ou n’avait pas choisi, tout aussi fautivement, de laisser devenir exécutoire deux de ces décisions, l’intimée aurait pu percevoir le supplément de la taxe sur la force motrice pour les exercices en cause et le dommage ne se serait pas produit ».

Il ressort de cet arrêt qu’une Commune peut invoquer la responsabilité de l’autorité de tutelle lorsque celle-ci a fautivement refusé d’approuver son acte (mutatis mutandis, l’exercice fautif d’une tutelle d’annulation devrait entraîner la même responsabilité).

Il en ressort également qu’en matière de règlement-taxe, le dommage à réparer si l’autorité de tutelle a agi fautivement est, semble-t-il, le montant estimé de (toute) la taxe n’ayant pas pu être perçue, indépendamment des modifications postérieures de la politique fiscale de la Commune à cet égard.

Une telle solution met à charge de l’autorité de tutelle une responsabilité considérable qui devrait la faire réfléchir à l’usage de son pouvoir d’approbation. L’exercice fautif de sa compétence peut, en effet, lui faire porter une responsabilité financière terriblement importante.

[1] Mons (6e ch. civ.), 29 janvier 2016, 2013/RG/463, R.F.R.L., 2015, pp. 371-379.