Le contentieux administratif est un droit d’exception

Comment attaquer l’administration ? comment se défendra-t-elle ? S’agit-il d’un justiciable ordinaire ou d’un être tout à fait particulier d’un point de vue juridique ?

Tout est possible en théorie : l’administration pourrait être intouchable, son action soustraite à tout contrôle, mais nous ne serions plus dans un Etat de droit.

Son contrôle peut être assuré par des tribunaux extraordinaires ou par les tribunaux classiques. La loi applicable peut être celle de droit commun, issue du Code civil, ou des lois et principes particuliers.

Evidemment, il s’agit de réfléchir en général : même dans un système où l’administration est hors d’atteinte, elle peut quand même se soumettre ponctuellement à un contrôle (il en est ainsi des Etats en droit international non pénal, par exemple, qui se soumettent volontairement à la juridiction de la Cour internationale de Justice). Dans un système de tribunaux d’exception, ceux-ci peuvent appliquer la loi ordinaire ou des lois particulières et même, une loi pourrait retirer un contentieux particulier de la compétence du tribunal spécial pour le confier à un tribunal ordinaire. L’inverse est possible aussi.

On compare souvent le droit belge et le droit français en raison de leurs ressemblances (le droit administratif belge s’est très largement inspiré du droit administratif français) mais aussi de leurs différences (le système belge est l’héritier du système hollandais, lui-même construit en réaction au système français).

Deux arrêts emblématiques illustrent les différences cardinales entre les contentieux administratifs belge et français.

L’arrêt Blanco du Tribunal des Conflits[1]

Au terme de cet arrêt, le Tribunal français juge que l’administration doit être attraite par principe devant des tribunaux d’exception, en premier lieu le Conseil d’Etat.

Qui plus est, les règles qui s’appliquent aux litiges ne sont pas celles du droit commun car le Code civil n’a pas vocation à régler les litiges entre les particuliers et l’administration.

L’arrêt La Flandria de la Cour de cassation[2]

La Cour de cassation de Belgique donne une réponse radicalement différente par son arrêt La Flandria.

D’abord, les tribunaux ordinaires sont désignés pour connaître du contentieux avec l’administration, ce qui est le constat logique de l’application de la Constitution belge[3] et spécialement des articles aujourd’hui numérotés 144 et 145 qui disposent que :

Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.

(…)

Les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi.

Qui plus est, le droit applicable par les juridictions judiciaires confrontées à l’administration ne doit être rien de moins que le droit commun, issu du Code civil, postulat qui fait donc du droit administratif belge, un simple droit d’exception qui vient compléter le droit commun, si besoin[4].

Cet arrêt est parfois perçu comme la pierre angulaire de tout le droit administratif belge.

La création du Conseil d’État en 1946 n’a pas remis en question la jurisprudence « La Flandria » tant la compétence du Conseil d’Etat belge est limitée et exceptionnelle par rapport à celle du juge judiciaire.

Evolutions ?

Les principes dégagés par la Cour de cassation dans l’arrêt La Flandria se perpétuent jusqu’à nos jours, avec toutefois deux exceptions notables :

L’article 144 de la Constitution a été complété par un alinéa 2 qui indique désormais que :

« Toutefois, la loi peut, selon les modalités qu’elle détermine, habiliter le Conseil d’état ou les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions. »

Cela a permis au Conseil d’Etat d’acquérir le pouvoir d’indemnisation des dommages issus de l’illégalités des décisions administratives illégales.

Ce pouvoir reste marginal et concurrent à celui octroyé aux tribunaux. On remarque quand même que le Conseil d’Etat, lorsqu’il statue sur les effets civils de ses décisions, s’éloigne parfois de la jurisprudence judiciaire relative à l’application de l’article 1382 du Code civil et à la responsabilité civile. Cela n’est pas anormal car il ne statue pas directement sur la responsabilité de l’administration.

Surtout, l’article 1.1 du (Nouveau) Code civil dispose désormais que :

« Sans préjudice des lois particulières, de la coutume et des principes généraux du droit, le présent Code régit le droit civil, et plus largement le droit privé. Il s’applique en toutes matières, sous réserve des règles propres à l’exercice de la puissance publique. »

Les travaux préparatoires du texte ne permettent pas de savoir ce qu’a exactement entendu viser le législateur en parlant des règles propres à l’exercice de la puissance publique.

Cela étant, cette formulation ressemble furieusement à la conception française du droit administratif.

Affaire à suivre.


[1] T.C., 8 février 1873, Blanco, in M. LONG et csrts, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 17e édition, Paris, Dalloz, 2009, pp. 1-7.

[2] Cass., 5 novembre 1920, Pas., 1920, I, 193.

[3] En ce sens : M. NIHOUL, Les privilèges du préalable et de l’exécution d’office, Brugge, La Charte, 2001, p. 39 et s.

[4] Ibid., p. 57 et s.

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