L’accord politique sur une vaccination obligatoire des soignants

Me Stéphane Rixhon a eu l’occasion d’intervenir ce 19 novembre sur bel RTL au sujet de la légalité d’une obligation vaccinale pour les soignants.

Il a rappelé à cet égard qu’imposer la vaccination est une entrave aux libertés, laquelle ne peut s’envisager que par une loi, et pour un motif nécessaire dans une société démocratique. De plus, toute entrave aux libertés doit être strictement proportionnée par rapport au but poursuivi.

Dans cette perspective, il est plus facile d’envisager une obligation vaccinale pour les seuls soignants que pour l’ensemble de la population car cette dernière perspective pourrait apparaître comme disproportionnée.

Il a rappelé également que l’Etat de droit est déjà lourdement fragilisé par la gestion politique de la crise du coronavirus depuis deux ans. Ainsi, de facto, l’on assiste déjà à une sorte d’obligation vaccinale pour tous puisque l’usage des libertés est conditionné à un laissez-passer vaccinal (CST).

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Hier soir, on apprenait dans la presse que :

« Après des heures de palabres très tendues, un accord est finalement de tombé vers 21h15 : la décision adoptée par le kern de lundi soir (licenciement avec chômage des non-vaccinés mais sans préavis) est confirmée. Elle sera d’application à partir du 1er avril 2022. Toutefois, le travailleur pourra s’opposer à cette décision de licenciement et, alors, son contrat sera suspendu sans salaire ni indemnité. C’est donc ce que l’on pourrait qualifier d’un « compromis à la belge ».

Important : le dispositif sera soumis aux partenaires sociaux qui pourront proposer des mesures alternatives.

Entre le 1er janvier et le 31 mars 2022, le personnel soignant non-vacciné devra se faire tester régulièrement (toutes les 72 heures). En cas de refus du test (ou de la vaccination), ces personnes seront suspendues avec droit au chômage temporaire. » (La Libre Belgique)

Cette décision appelle quelques commentaires :

Il s’agit à ce stade d’une décision politique, sans effet juridique. Toutefois, il y a beaucoup de chances qu’elle soit très prochainement traduite dans un texte de loi. En effet, le kern est un conseil des Ministres restreint, lequel prend les décisions politiques importantes. Une fois cette décision adoptée, un projet de loi est habituellement soumis au Parlement qui, lorsque le Gouvernement y est majoritaire, adopte la mesure sans beaucoup de discussions.

Concrètement, cette mesure pose question quant à son applicabilité. Que vont devenir les soignants qui refusent la vaccination mais peuvent justifier d’une sérologie élevée ou de tests fréquents, par exemple ? L’on croit en effet savoir que le vaccin ne protège que partiellement contre les contaminations au coronavirus, même s’il protège très efficacement le vacciné lui-même contre les formes graves du virus.

La décision politique adoptée semble permettre la suspension du contrat de travail (ou du statut ?), voire le licenciement sans préavis, ce qui pourrait apparenter l’absence de vaccination à un motif grave.

On est donc curieux de connaître comment l’accord politique sera traduit en texte de loi.

Il parait toutefois certain que des recours seront introduits à la suite de cette décision. Ainsi, si l’accord politique fait l’objet d’une loi, la Cour constitutionnelle pourra être saisie en annulation, voire en suspension.

Si aucun texte de loi n’est déposé et que le Gouvernement adopte son projet par la voie d’un arrêté, alors c’est le Conseil d’Etat qui pourrait être saisi en suspension ou en annulation du texte.

Enfin, les soignants, à titre individuel ou assemblés au sein d’un collectif, peuvent évidemment faire valoir leurs droits en cas de rupture de la relation de travail, en principe devant le Tribunal du travail, mais peut-être aussi devant le Président du Tribunal de Première instance compte tenu de l’urgence qui risque de se poser : en effet, les premières mesures pourraient être effectives dans à peine un mois.

Il sera alors intéressant de voir si le juge du travail ne considère pas comme  « manifestement déraisonnable » et donc abusif un licenciement sur base du refus du vaccin, et cela au regard de la Convention Collective de Travail (CCT) n°109.

En effet, la CCT n°109 considère comme « manifestement déraisonnable », le licenciement d’un travailleur, qui se base sur des motifs qui :

  • n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou du service,
  • et qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable. 

Le travailleur licencié peut obtenir du tribunal du travail des indemnités allant de 3 à 17 semaines de rémunération pour autant que son licenciement soit considéré comme abusif.

Dans ce cadre, les juges du travail considéreront-ils forcément que le refus de se faire vacciner révèle une conduite à ce point problématique qu’elle justifie le licenciement ?

Ou que, dans un secteur en forte pénurie comme le secteur hospitalier, il est raisonnable de justifier le licenciement d’une infirmière compétente mais non-vaccinée en arguant des « nécessités du service » ?

Et les juges du travail considéreront-ils que tout employeur normal et raisonnable licencierait forcément les membres de son personnel non vaccinés ?

Les prochains mois nous apporteront la réponse…

Stéphane Rixhon, avocat et professeur de droit public

Valérie Hendrikx, avocate, master en sciences du travail et master en gestion-HEC

OAK Law firm

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