Bref commentaire de R. JACOB, La parole impérieuse – Les formes premières du droit en Occident, PUF, 2020, 540 p.
Le jus du droit
Le droit romain a inspiré nos systèmes juridiques modernes et de nombreuses règles d’alors sont encore d’actualité. Il faut toutefois signaler que le « droit romain » n’existe pas en tant que tel : la fondation légendaire de Rome date de 753 ACN et l’effondrement de l’empire d’Occident, du Ve siècle PCN. L’empire romain d’Orient ne disparaîtra qu’au XVe siècle PCN. Tant de siècles ont évidemment fait évoluer considérablement l’ordonnancement juridique de l’empire et il n’y a donc pas “un” droit romain.
L’ouvrage de Robert Jacob s’intéresse en réalité aux premières années seulement du droit romain. L’auteur tente d’abord d’expliquer l’émergence du mot IUS, terme qui désigne le droit en latin.
Le mot IUS viendrait du jus rituel laissé par la viande préparée et divisée en parts lors de dîners rituels. L’auteur remarque d’ailleurs que le même mot est utilisé par les romains pour désigner le droit et le jus. De la désignation initiale du jus, le mot IUS se serait détaché pour appréhender petit à petit le système de paroles jurées, qui étaient produites en même temps que le rituel du partage culinaire.
Les personnes qui produisaient ces paroles jurées étaient les hommes libres et égaux entre eux : les paterfamilias du Latium.
Robert Jacob réalise ainsi un parallèle très intéressant avec le « jurème », concept forgé par Lucien François dans son Cap des Tempêtes. Dans cet ouvrage, l’auteur résumait l’élément primordial du juridique à un commandement formulé avec menace de sanction. Robert Jacob ne cache d’ailleurs pas la dette intellectuelle qu’il doit à Lucien François, puisqu’il consacre au jurème les premières pages de son ouvrage. Là où le jurème était présenté comme un concept de philosophie du droit, il acquiert chez Robert Jacob une réalité historique.
Un IUS au champ limité
On signalera dans ce cadre que le IUS ne désignait initialement pas toutes les normes juridiques comme nous l’entendrions aujourd’hui : le droit pénal en était exclus, les multiples procès politiques intentés aux cours de la vie de la République également. De même, l’organisation de la clientèle, ou encore les notions de plèbe et les patriciens, si importantes dans la vie sociale romaine ne rentrait pas dans le IUS. Ce concept évoquait uniquement le droit des successions, de la famille et les contrats, mais également le “droit international public” puisqu’il réglait les relations avec les étrangers, la paix et la guerre. La Guerre Juste bien connue des philosophes devrait en réalité s’appréhender comme la guerre conforme au IUS dans son déclenchement.
C’est ce caractère limité du IUS qui lui aurait permis d’être tenu à l’écart des méandres politiques et religieux. Dans ces deux champs, d’autres corps de règles s’appliquaient, que nous appellerions aujourd’hui le droit public, le droit pénal ou le droit religieux, mais qui chez les Romains, n’avaient rien à voir avec le IUS. Ainsi préservé, une réflexion quasi scientifique a pu s’opérer sur le IUS (par des fonctionnaires spécialisés d’abord, et à leur suite par les premiers jurisconsultes). C’est ce phénomène qui expliquerait le développement considérable du droit romain par rapport aux systèmes juridiques beaucoup plus archaïques d’autres cités antiques, pourtant connues pour leur remarquable développement.
On note enfin que l’évolution de la langue a fini par inclure dans le terme IUS de nouvelles branches du droit. Les langues latines n’ont pas fait le choix de l’usage du mot IUS et de ses dérivés pour désigner le corps de règles que nous appelons aujourd’hui le droit. Cependant, par une certaine ironie de l’histoire, le mot IUS a donné en français le juge, le juridique ou encore la Justice, terme qui, chargé de christianisme, n’a plus grand chose à voir avec le jus des premiers romains.