Dispositif de lutte contre le coronavirus : une analyse législative et règlementaire

La crise du coronavirus épuise le système hospitalier belge et européen depuis quelques semaines. Le citoyen n’aura pas manqué de s’apercevoir que le contexte particulier où nous vivons actuellement met à l’épreuve nos traditions légales et démocratiques. Voici une première analyse des fondements légaux sur les récentes mesures de lutte contre la pandémie.

Premier type de mesure : les polices administratives exceptionnelles
La police administrative, c’est un ensemble de mesures de contraintes et de restriction des libertés qui sont mises en œuvre de manière préventive afin de sauvegarder l’ordre public.
La première mesure marquante de la crise a été l’ordonnance du 1er mars 2020 du Bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, qui interdisait à toutes personne ayant fréquenté une zone à risque d’entrer dans les bâtiments de l’administration communale. C’est, en effet, aux communes d’adopter prioritairement des mesures de police administrative générale en vertu de l’article 135 de la Nouvelle loi communale. La particularité de la mesure tient au fait que c’est le Bourgmestre et non son Conseil communal qui l’a adoptée. Elle est également surprenante puisqu’elle porte une interdiction générale et absolue de fréquenter certains lieux pour certains types de personnes.
La seconde décision d’ampleur a été celle du Ministre fédéral de l’intérieur. Par une série d’arrêtés ministériels du 13 mars 2020, il décide d’abord :
D’activer le plan d’urgence fixé par l’arrêté royal du 31 janvier 2003 portant fixation du plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national.
Ensuite et surtout, il décide d’interdire, sauf dans le cadre intime et familial, jusqu’au 3 avril 2020 :
a) les activités à caractère privé ou public, de nature culturelle, sociale, festive, folklorique, sportive et récréative;
b) les excursions scolaires de plus d’une journée et les activités dans le cadre de mouvements de jeunesse sur le et à partir du territoire national ;
c) les activités des cérémonies religieuses (seules les cérémonies funéraires sont autorisées).
Il ferme jusqu’à la même date les établissements appartenant aux secteurs culturel, festif, récréatif, sportif et horeca et, uniquement les samedis et dimanches tous les centres commerciaux et les magasins qui vendent des produits non-alimentaires, sauf les pharmacies.
Enfin, il suspend les leçons et activités dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire, jusqu’à la même date.
Pour adopter cette décision, il se base notamment sur l’article 11 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, qui fait « remonter » la compétence de police générale de la commune vers les provinces puis vers le gouvernement fédéral lorsque le trouble à l’ordre public dépasse le cadre communal.
Il se base aussi sur la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, dont l’article 182 prévoit que :
« Le ministre ou son délégué peut, en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure ; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population ».
Cette décision est exceptionnelle à plusieurs égards puisqu’elle porte gravement atteinte à plusieurs droits fondamentaux, tels que le droit de réunion, le droit de pratiquer son culte ou la liberté de commerce et d’industrie, lesquels sont en principe protégés de toute incursion qui n’est pas directement décidée par le législateur.
Elle est, de plus, adoptée sans l’avis préalable de la Section de Législation du Conseil d’Etat compte tenu de l’urgence. Elle est, enfin, adoptée par un gouvernement en affaires courantes.
Enfin, l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » complète et précise les dispositions de l’arrêté ministériel du 13 mars précité.
Il prévoit en outre et surtout que les personnes sont tenues de restées chez elles. Il est interdit de se trouver sur la voie publique et dans les lieux publics, sauf les exceptions prévues par l’arrêté.
Entre ce deuxième arrêté et celui du 13 mars 2020, il faut noter que le Gouvernement avait été relevé des affaires courantes.

Deuxième type de mesures : le Gouvernement est relevé des affaires courantes
Pendant plus d’un an, le Gouvernement fédéral a expédié les affaires courantes après la démission de Charles Michel – et son remplacement par Sophie Wilmes, également démissionnaire.
Cela signifiait concrètement que le Gouvernement voyait son pouvoir exécutif limité à l’adoption d’arrêtés permettant d’assurer la gestion journalière de l’Etat, finaliser techniquement des procédures déjà entamées antérieurement (et donc, vidées des choix politiques à poser) ou encore parer aux cas d’urgence.
Il faut noter qu’un Gouvernement en affaires courantes n’est plus non plus soumis au contrôle politique de la Chambre des représentants puisque cette dernière peut, au pire, le pousser à démissionner (ce qui était déjà le cas) – et en vertu de la belle formule : on n’abat pas un mort.
Or, par un premier arrêté royal du 17 mars 2020, le Roi refuse la démission présentée préalablement par Sophie Wilmes. Par un deuxième arrêté de la même date, le Roi accepte la démission de tous les Ministres, à l’exception de la Première et nomme immédiatement ceux-ci à la même fonction.
Les affaires courantes sont donc terminées.
Le Gouvernement obtient, enfin, la confiance de la Chambre des représentants le 19 mars 2020. Le contrôle politique du Parlement reprend donc pleinement ses droits, avec la particularité que le Gouvernement ne dispose pas d’une majorité de députés à la Chambre, ceux-ci le soutenant « de l’extérieur », c’est-à-dire sans que leurs groupes ne soient représentés en son sein.

Troisième type de mesures : des pouvoirs spéciaux
Il est prévu que des pouvoirs spéciaux soient accordés au Gouvernement fédéral. Le texte n’est, semble-t-il, pas encore disponible. Le Gouvernement wallon s’est, quant à lui, déjà vu accordé de tels pouvoirs par les décrets du 17 mars 2020.
Qu’en est-il ? Une loi (ou un décret) de pouvoirs spéciaux est un texte adopté par le pouvoir législatif, qui indique que, pour une ou plusieurs matières données, en raison des circonstances et pour un temps limité, le Gouvernement peut adopter des arrêtés « de pouvoirs spéciaux », lesquels sont habituellement numérotés, qui peuvent modifier les lois existantes, voire créer un nouveau cadre légal.
Il s’agit donc bien formellement d’arrêtés, lesquels sont soumis aux procédures administratives habituelles (avis du Conseil d’Etat, analyse d’impact, etc.) et qui souffrent des mêmes faiblesses que les actes exécutifs classiques (toute juridiction peut en soulever l’illégalité sur base de l’article 159 de la Constitution et un recours peut être introduit au Conseil d’Etat). Toutefois, matériellement, il s’agit bien de lois.
Cela implique que des « lois » seront adoptées pour faire face à la crise et ce, sans débat au Parlement, sans que celui-ci ne vote les textes (alors même que le Gouvernement est minoritaire au Parlement), ce qui peut toujours faire craindre des abus ou des illégalités, surtout lorsqu’on connaît l’ampleur des premières mesures adoptées par le Ministre de l’Intérieur au regard des libertés individuelles.

Première conclusion
La crise du coronavirus fait l’objet d’un traitement législatif et règlementaire exceptionnel. La vieille formule « pour sauver la Liberté, il faut supprimer les libertés » semble bien être le maître mot du moment. En raison de la pandémie et de la menace qu’elle fait peser sur la santé publique, le danger inhérent à de telles mesures (abus, discriminations…) pèse peu dans la balance à ce jour. Il nous faut toutefois rester vigilants et espérer que ces normes exceptionnelles ne dépasseront pas leur motif, ni dans le temps, ni dans leur ampleur.

NB : D’autres décisions ont été adoptées par les communes, provinces et entités fédérées. Elles ne sont toutefois pas examinées ici dans un souci de concision.

 

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